MARS
Le téléphone sonne.
C’est ma sœur.
« C’est papa. Il s’est pendu. »
Silence. J’ai le souffle coupé. C’est l’incompréhension. Non, je ne veux pas le croire.
« Il est mort ?
-Oui »
C’est bizarre ce besoin irrépressible de se faire confirmer l’information. Cet espoir infime que la réponse change, d’avoir mal compris. L’espoir irrationnel que la situation soit différente de ce qu’elle est.
Ensuite sont venues les larmes. La douleur. Les idées pas claires.
Puis l’action.
Ont suivis plusieurs jours qui s’enchaînent hors du temps, comme suspendus. Il y a eu l’organisation des obsèques, de la cérémonie, l’information des proches, des moins proches. Les coups de fils passés, ceux reçus. Les visites des amis, de la famille, de personnes que je ne connaissais pas vraiment aussi. Les hauts, les bas, les larmes, les sourires aussi et les souvenirs qui nous reviennent en mémoire. Il y a eu beaucoup de gens à prévenir, à côtoyer, de questions, d’explications à donner. Alors que je n’en avais pas moi-même.
Tout s’est déroulé très vite. Puis tout est retombé, la pression, le rythme. Il y a eu ce retour à la « normale », la reprise du quotidien, la tentative de raccrocher en route le train de ma vie duquel j’étais tombée quelques temps.
SEPTEMBRE
J’ai surmonté, j’ai traversé l’épreuve. Avec mes proches. Ma mère, mes sœurs, mes cousins, mes oncles et tantes, mes amis et amies, et mes collègues également. Ils ont été là. Tous. Pleins d’attentions, de marques d’affection. Qu’est-ce que ça fait du bien d’être bien entourée ! Je fus même surprise de ceux qui m’ont tant soutenue alors qu’ils n’étaient pas tellement proches de moi. Quelle chance ! Ils ont tous été supers.
Pourtant ça ne va pas mieux. C’est toujours difficile. Après six mois, je pleure encore beaucoup, souvent, tout le temps. Je reste enfermée pendant des heures, assise par terre, j’écoute The Cure et le Jupiter Crash de mon adolescence et je pleure. Tout ce temps qui est passé et maintenant je n’ai plus ma famille complète, unie, heureuse. Les souvenirs sont autant de petites lames affûtées qui vous blessent à chaque fois qu’ils apparaissent à votre conscience.
Je m’interroge sur ce qu’il s’est passé. Je n’arrive pas à admettre son choix terrible, tellement injuste et définitif. Bizarrement le suicide chez les autres semble inacceptable et à l’inverse quand on réfléchit à la fin de vie que l’on souhaiterait pour soi-même c’est tout de suite plus évident : on ne veut pas subir, on veut pouvoir choisir, pouvoir maîtriser, jusqu’au bout. Alors pourquoi est-ce que je ne parviens pas à accepter tout simplement ? On me dit qu’il faut du temps alors je tente de penser à autre chose et j’attends que temps s’écoule. Mais inexorablement mes pensées reviennent vers lui et cet horrible mois de mars.
Je repense à ces journées terribles, qui ont suivi l’annonce de sa mort. Je me souviens d’avoir été en mode zombie, anesthésiée de toutes sensations, le cerveau qui fonctionne en permanence mais dont il ne ressort rien. Heureusement que j’ai été très peu seule à cette période. Heureusement que mes proches, mes piliers, mes soutiens étaient là.
Bon, il est vrai qu’ils n’ont pas tous été aussi prévenants les uns que les autres. Il y a ceux qui retournent très vite à leur quotidien et dont on n’entend rapidement plus parler…
Et puis, à la réflexion, non, ils ne m’ont pas tous soutenue. Certains ont même été particulièrement absents. Ils m’ont laissé le souvenir d’un silence assourdissant.
Ceux dont on attend des nouvelles. Ceux sur qui j’étais certaine de pouvoir compter.
Et puis, une semaine s’est écoulée. Ils n’ont sûrement pas pu se libérer pour venir aux obsèques.
Et puis, une autre semaine est passée. Ils n’ont certainement pas trouvé les mots pour m’envoyer un message.
Et puis un mois, deux mois plus tard : ils n’osent pas appeler, ils ne savent pas quoi dire !
A force de leur trouver des excuses, d’entendre d’autres trouver des raisons à leurs silences, je ne sais même plus si j’avais des proches autour de moi. Les absents ont pris toute la place. Ils brillent, rayonnent, irradient par leurs silences.
Les salauds ! Quels égoïstes ! Moi j’aurais été là pour eux s’ils avaient été dans mon cas !
Il y a cette tante, Françoise, pour qui j’ai tant fait quand elle a eu ses problèmes il y quatre ans. Son mari était malade, ils ont eu des problèmes de couple, elle ne s’en sortait pas toute seule. J’étais là pour elle, moi. Je l’ai soutenue, je suis souvent allée la voir, l’aider, la consoler. Et maintenant que j’ai besoin à mon tour de soutien, de réconfort, elle ne m’a pas envoyé le moindre message. Elle ne m’a pas téléphoné une seule fois !
Et puis il y a aussi cette amie, Claire-Anne, mon amie d’enfance, mon amie depuis toujours. Certes, depuis son mariage elle vit loin, elle n’est plus disponible, elle a sa vie, ses enfants, son job. C’est une working girl très active, elle n’a plus le temps pour quoi que ce soit. Mais là j’avais besoin d’elle, moi. J’ai toujours été là pour elle depuis notre enfance. Et maintenant que j’en aurais eu besoin : pas d’appel, pas de message, silence, rien !
Il y a aussi Jacques, mon ami. Celui que j’ai tant soutenu quand il s’est fait plaquer l’an dernier. On s’est connus à la fac Jacques et moi. On était inséparables, des compagnons de bringues, toujours partants pour écumer toutes les soirées étudiantes. L’an dernier je l’ai accueilli chez moi, consolé, logé le temps qu’il se remette de sa rupture. Ensuite je l’ai sorti pour lui changer les idées, je l’ai présenté à mes amies célibataires. J’ai tout fait pour l’aider à aller mieux, à relever la tête, s’en remettre et passer à autre chose. Et maintenant il se permet de m’ignorer, quand à mon tour j’aurais besoin de soutien !
S’ils avaient été dans mon cas, jamais je ne me serais permise de ne pas les soutenir. C’est une question de principe ! Ils n’ont vraiment aucune éducation !
C’est ça ! C’est de l’éducation qu’il leur manque ! Il faut les éduquer ces gens-là …
OCTOBRE
Le corps de Gérard, le mari de Françoise, a été retrouvé sans vie la semaine dernière. Apparemment, il aurait fait une mauvaise chute. Avec tous ses problèmes de santé depuis plusieurs années, il n’était pas au mieux de sa forme. Il aurait dû faire attention avant de tenter de monter sur une échelle bancale pour aller ramasser ses fruits. Quel inconscient !
Et maintenant cette pauvre Françoise affronte le deuil, à son tour. Elle m’a fait de la peine quand je l’ai vue, elle avait beaucoup pleuré. Elle me renvoie un peu ma propre image d’il y a quelques mois. Et ce n’est pas beau à voir.
J’ai été catastrophée à l’annonce de la mort de Gérard, j’ai l’impression que le décès de mon père est encore là, trop frais, trop récent dans ma tête pour pouvoir affronter un nouveau deuil. Il faut prendre du recul qu’ils disent. Il est vrai que Gérard n’était que mon oncle par alliance mais tout de même, c’est difficile. Il y a trop de souvenirs qui se ravivent.
Quand j’essaie d’en prendre, du recul, je suis plutôt fière de moi. J’ai tout bien fait comme il faut. J’ai appelé Françoise le deuxième jour. J’ai écouté ses pleurs, ses jérémiades. Je lui ai dit à quel point j’étais choquée et peinée pour elle.
Et aujourd’hui il y a eu les obsèques. Je me suis préparée tôt ce matin. J’ai mis ma robe noire, celle qui fait triste, de circonstance. Je ne me suis pas maquillée, je suis restée digne malgré les circonstances.
Dans la voiture j’ai mis Rage Against The Machine à fond, j’ai tenté de me changer les idées pour ne pas trop penser à la cérémonie où je me rendais, à ce qui allait se passer. J’ai chanté pendant le trajet, j’ai hurlé même. Ça m’a fait du bien, un bon défouloir.
Il y a eu la cérémonie. J’ai un peu pleuré, gardé l’air grave, une attitude exemplaire ! J’avais réfléchi à l’avance pour mettre un mot adéquat dans le registre des condoléances.
Finalement, ça s’est assez bien passé. J’ai surmonté ça beaucoup plus facilement que je ne le craignais au départ. J’ai l’impression de jouer un rôle, que ce n’est pas ma vie qui est en train de se dérouler au travers de mes yeux. Tout ça est trop surréaliste, je survole les événements auxquels je participe.
La semaine suivante j’ai envoyé une carte de condoléances à Françoise pour lui faire savoir une fois encore à quel point j’étais peinée et pour lui expliquer que je comptais la soutenir dans cette épreuve.
Un vrai modèle ! J’ai été parfaite. Je n’allais pas me comporter comme elle l’a fait avec moi. Il paraît qu’il ne faut pas faire aux autres ce que l’on ne veut pas qu’ils nous fassent. J’ai pris acte. Mais elle ne méritait pas toute l’attention que je lui ai apportée.
La prochaine fois, elle pourra prendre exemple sur moi.
FEVRIER
Antoine, le papa de Claire-Anne a été enterré aujourd’hui.
J’ai l’impression que la mort rôde autour de moi, que ça ne va jamais s’arrêter. Après le décès de Gérard, on m’a dit que c’était la loi des séries. N’importe quoi ! Quelle loi ? Il n’y a pas de série dans le bonheur mais quand les catastrophes arrivent, c’est toujours en série ! Et ça serait normal ? Qu’est-ce que ça peut m’énerver les gens qui tentent de vous réconforter en vous racontant n’importe quoi !
Toujours est-il qu’il faut remettre ça : nouvel enterrement, nouveau deuil. J’ai l’impression que ça s’éloigne de moi tout de même, après mes proches ce n’est plus que des connaissances. Un peu plus lointaines. Pourtant ça m’affecte beaucoup quand même. C’est difficile d’affronter à nouveau cette ambiance triste où tant de souvenirs vous inondent. Je suis submergée. Je bois la tasse de tous ces deuils à la pelle. Vais-je reprendre une vie normale ?
Et aujourd’hui : quelle tristesse ! Une cérémonie très émouvante, chargée d’émotions. Il faut dire qu’Antoine, cet homme très investi dans la vie de son village était apprécié de tous. Il était en très bonne santé. Un bête accident de chasse, et une vie est brisée. Et sa famille absolument dévastée.
La cérémonie a été éprouvante pour moi. Tout ça a été bien plus difficile que pour Gérard. Antoine avait presque le même âge que mon père. Ils avaient eu des activités en commun dans le passé. Des goûts musicaux similaires aussi. Lorsqu’ils ont passé les Chordettes pendant la cérémonie en rappelant qu’il avait toujours souhaité de son vivant que l’on ne pleure pas sa mort le moment venu mais que l’on célèbre joyeusement sa mémoire, ça m’a rappelé douloureusement mon père. Il aurait lui aussi voulu une cérémonie comme celle-là. Ça aurait pu être la sienne d’ailleurs. Par contre, il aurait préféré des chansons françaises. C’est mieux quand on comprend les paroles. Je me demande si l’espace-temps ne s’est pas ouvert et s’amuse à me projeter uniquement dans des épisodes douloureux et tristes.
J’ai croisé brièvement Claire-Anne avant la cérémonie, elle a pris dix ans en deux jours ! Son visage est ravagé par le chagrin. J’ai été très attristée de la voir ainsi. Je lui ai dit toute ma compassion dans cette épreuve que je connais si bien. Elle m’a remerciée mais n’a pas trop parlé avec moi, elle était trop éprouvée, la pauvre.
Pour ce qui est de ma prestation, je suis satisfaite. Je commence à bien maîtriser mon « rôle », ce n’est pas l’entraînement qui m’a manqué ces derniers mois ! Le coup de téléphone de soutien, la présence « juste ce qu’il faut » lors de la cérémonie avec la tenue, l’apparence et l’attitude qui conviennent, le petit mot dans le registre… Une fois encore je me suis trouvée parfaitement à la hauteur.
D’ici deux semaines je lui enverrai une petite lettre. Je lui dirai qu’elle peut compter sur moi si elle en a besoin. Que je sais, oh combien, à quel point c’est difficile ! Qu’elle n’hésite pas à m’appeler, de jour comme de nuit, si elle veut parler. Que cette distance qui nous sépare ne doit pas l’empêcher de me demander de l’aide si elle en ressent le besoin.
Pourvu qu’elle n’en ressente pas trop le besoin quand même. J’ai encore besoin de souffler pour me remettre de mes propres épreuves.
Mais finalement, j’espère que par comparaison elle se rendra compte à quelle point elle a été nulle avec moi l’an dernier.
MAI
Je me suis bien fait avoir.
Ça s’est passé si vite.
Il y a trois semaines, j’avais rendez-vous avec Jacques et sa nouvelle copine, Noémie. Il voulait prendre de mes nouvelles. Après plus d’un an, il était temps ! Il est gonflé le type quand même d’attendre aussi longtemps pour prendre des nouvelles ! Il voulait surtout me montrer sa nouvelle conquête. Savoir comment je vais, ça, il s’en fout complètement !
On s’est retrouvés dans un bar. On avait prévu de boire un coup ensemble puis d’aller manger dans un bon petit restaurant savoyard. Ce n’est plus trop la saison pour la fondue, mais bon, je n’ai rien dit, je ne vais pas commencer par critiquer les idées de Noémie avant d’avoir fait sa connaissance.
La soirée démarre calmement, on fait les présentations. Noémie est agent immobilier. Elle est jolie. Un peu pimbêche. Je m’y attendais, Jacques se trouve toujours des copines de ce genre.
On discute tranquillement, tout va bien, et là, brusquement,Noémie nous a fait un malaise. Panique dans le bar, ils appellent les pompiers. Jacques et Noémie ont fini à l’hôpital, elle n’arrivait plus à respirer.
Et puis ils l’ont soignée. Ils ont trouvé ce qu’elle avait et l’ont soignée.
Ensuite les flics sont venus chez moi. Juste quand j’allais appeler Jacques pour savoir s’ils avaient trouvé ce qu’avait Noémie et si elle allait mieux.
Ils m’ont accusée de tentative de meurtre. Ils n’ont rien écouté de ce que je leur racontais. Ils m’ont enfermée.
Puis ils ont ressorti les dossiers de Gérard et d’Antoine. Les accidents sont devenus des meurtres sous prétexte que j’étais dans le coin à chaque fois.
Normal d’être proche de ses proches ! C’est la meilleure ! On me reproche de prendre des nouvelles des gens de mon entourage !
Et puis, une échelle qui bascule, une balle perdue pendant une battue de chasse, ce sont des choses qui arrivent !
Moi qui voulais apporter mon soutien à ces salauds qui ne le méritaient pas !
Je n’en reviens pas. J’ai beau tourner et retourner toute l’histoire dans ma tête, je ne comprends pas comment j’ai pu me retrouver là. Bon, je m’accroche au mince espoir que le procès me disculpe. De toute façon, ils n’ont aucune preuve. Ils ne peuvent rien prouver ! Il n’y a rien à prouver. Ce n’étaient que des accidents !
DECEMBRE
Mon procès a été vite expédié. J’ai pris vingt-cinq ans.
J’ai été imprudente, j’avais conservé chez moi une dose du poison de Noémie. De toute façon, il n’était pas bien dosé. L’automne précédent, lorsque j’avais ramassé de la belladone et quelques autres plantes que je savais toxiques au cours d’une promenade, j’avais trouvé que c’était une bonne idée de tenter une fabrication artisanale de poison. Au cas où. Mais bon, je n’en avais finalement pas d’utilité, je l’avais donc congelé, des fois que j’en aie besoin, plus tard, peut-être.
J’ai vraiment des idées pourries par moment. Quelle conne ! De toute façon, c’est trop tard. Ils n’ont pas voulu me croire lorsque je leur ai dit que ça n’avait rien à voir avec ce qui était arrivé à Noémie. Elle a été empoisonnée avec de la belladone à une saison où il n’en pousse pas. Je suis vraiment naïve. C’était joué d’avance qu’ils ne me croiraient pas.
Pour Gérard par contre, c’est incroyable ! Ils m’ont accusée de l’avoir tué en le faisant tomber de son arbre ! N’importe quoi ! Je n’ai vraiment rien eu à faire. Le pauvre homme tremblait comme une feuille, son échelle était quelque peu bancale. Elle a simplement complètement basculé alors que je voulais aider le vieil homme à descendre de son arbre. A moins que je l’aie même complètement imaginé. Parce qu’il me semble que je me tenais trop loin pour faire quoique ce soit… Ah ils m’ont complètement retourné la tête en me demandant de raconter la même histoire deux cent fois ! Je sais très bien que je n’ai rien fait !
Concernant Antoine il est vrai que j’étais la coupable idéale. Ils n’ont jamais retrouvé le chasseur qui a tiré sur lui. Et je me trouvais dans les parages ce jour-là. Un simple concours de circonstances et me voilà accusée d’un meurtre. Franchement, tout le monde sait que je n’ai jamais eu d’arme à feu ! Certes, mon père en avait et personne ne sait où elles se trouvent depuis son décès. Mais je ne le sais pas plus qu’eux ! Et les gendarmes ne les ont pas retrouvées chez moi, surtout pas celle qui a servi à tuer Antoine. Et voilà, on m’accuse faute d’avoir trouvé le vrai coupable ! Quand je pense qu’ils n’ont aucune preuve contre moi, rien ! Mais qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi suis-je emprisonnée ? Je n’ai rien fait !!!
Depuis qu’ils m’ont enfermée ici je ne vois pas grand monde. Ma routine se limite aux promenades et à mes lectures.
Je vois mon psychiatre, de temps en temps. J’ai obligation de me soigner alors je vais le voir. Mes petites consultations me permettent de discuter un peu et d’avoir des médicaments qui shootent pas mal, ça passe le temps. Il est sympa le psy. Il s’appelle Daniel. Il s’intéresse à mon passé, aux relations que j’ai pu avoir avec mon père, mes amis, ma famille. Je lui ai raconté à quel point j’avais été bien entourée lors du décès de mon père, tous ces amis qui se sont pressés pour me soutenir. Il m’a demandé leurs noms, qui ils étaient, ce qu’ils faisaient dans leurs vies. Il m’a vraiment posé beaucoup de questions sur eux. C’est étrange qu’il s’intéresse autant à toutes ces personnes, et ne me pose pas tant de questions que ça sur moi.
La semaine dernière, il m’a dit qu’il doutait que ces personnes existent réellement, qu’il ne retrouvait pas la trace des amis dont je lui avais parlé. Selon lui, beaucoup m’ont tourné le dos depuis de nombreuses années et le peu de proches qui me restaient je les avais tués !
Il est complètement cinglé lui aussi ! Puisque je lui ai dit que j’étais innocente ! Et depuis quand mes amis n’existent pas ? Je suis quand même la mieux placée pour savoir ce qui se passe dans ma vie ! Surtout que des amis, j’en ai plein ! Qu’il n’ait pas retrouvé la trace de Johan, Xavier, Christine et Sandrine, ça ne m’étonne pas ! Et mes amis d’enfance, Christelle, Karine et Jérôme ? Ceux de la fac, Didier et Stéphanie et les autres ? Mes cousins, le petit Jean, Fabrice et sa femme Sonia ? Mes collègues de travail, ils n’existent pas peut-être ? Il n’est pas enquêteur, il est psy ! Mais non, Monsieur Daniel sait mieux que moi qui fait partie de mes proches, qui je côtoie dans ma vie, qui existe et qui n’existe pas ! Menteur !
En même temps, ça ne m’étonne pas, on ne peut pas faire confiance à un psychiatre. Ils sont dérangés ces gens-là. Étant donné qu’ils ne côtoient que des fous quand ils font des consultations en prison, ils ne peuvent pas rester sains d’esprit bien longtemps !
D’ailleurs il faudra que je me méfie quand j’irai en consultation. Si la folie des autres est contagieuse et qu’elle l’a contaminé, je devrai faire bien attention afin de ne pas être contaminée à mon tour …
Pour le reste de ma vie en prison, heureusement qu’il y a une bibliothèque. Je pense que j’aurai rapidement lu tout ce qui m’y intéresse. Il n’y a pas un choix fabuleux : quelques romans mais rien de récent, des classiques ennuyeux à mourir, des revues sur des sujets dont je me fous complètement. A la limite, si je veux reprendre mes études, il restera toujours les ouvrages de droit lorsque j’aurai épuisé les autres possibilités !
Par contre, pour ce qui concerne les visites : rien !
Quand je fredonne The Police pour me passer le temps et que je réalise les paroles que je chante, ça me secoue comme des gifles que je me serais infligées à moi-même… So lonely, so lonely …
Ils ne viennent pas me voir, tous ceux pour qui j’étais là, moi. Je ne vois jamais qui que ce soit au parloir, personne, jamais.
Si j’étais à leur place, si j’avais un proche emprisonné, j’irais le voir, je lui rendrais visite, je le soutiendrais. Ils ont vraiment la mémoire courte pour tout ce que j’ai fait pour eux, pour toutes les fois où je les ai soutenus.
Les salauds ! Quels égoïstes !
Attendez un peu pour voir !
Quand je sortirai, je vous apprendrai.




